jeudi 6 mars 2025

Débats (1) : Les sondes Pitot et leur réchauffage (PHC)

 

En 13 années d’instruction et 3 mois de procès, les ingénieurs d’Airbus n’ont pas été capables d’expliquer la recrudescence des événements de blocage des sondes Pitot Thalès AA. Les experts judiciaires non plus. Le feront-ils en Appel ?

Le Tribunal Correctionnel retient dans son jugement la probabilité importante que les sondes Pitot Thalès AA équipant le vol AF 447 aient été corrodées et que ce type de sonde était obsolète après 18000 heures de vol (AF 447 18870 h/vol). La recrudescence des incidents à partir de 2007 s’explique-t-elle par un nombre important de sondes Thalès AA corrodées devenues obsolètes ? A tel point que Thales recommandait en octobre 2008 de changer sur tous les avions les « vieilles » sondes AA par les nouvelles sondes BA, conçues avec un revêtement en nickel pour améliorer la résistance contre la corrosion.


Une sonde Pitot Thalès AA et son tube corrodé

D’autre part, la recrudescence des incidents était consécutive à un changement de logiciel des PHC (Probes Heat Computer) qui contrôlent et surveillent le réchauffage des sondes.

Il existe deux modes de fonctionnement (du réchauffage des sondes) : sol et vol. Au sol, … les trois sondes Pitot sont réchauffées à une puissance faible pour prévenir leur endommagement précoce. Le bouton poussoir « PROBE / WINDOW HEAT » situé sur le panneau supérieur dans le poste de pilotage permet à l’équipage de forcer le réchauffage en mode vol des sondes Pitot (rapport BEA page 37).

Extrait de l’article « Parole d’expert : la cause de l’accident »

« Il demeure impossible d’affirmer que le réchauffage des sondes (Pitot, statiques, d’incidence et de température) et des pare-brise n’était pas en sous mode SOL au moment de la déconnexion du pilote automatique, à la source notamment du blocage des sondes Pitot.

Cette hypothèse de dysfonctionnement du réchauffage des sondes en mode automatique est d’ailleurs prévue par le constructeur notamment dans la procédure vitesses douteuses puisqu’il inclut dans cette procédure – malheureusement noyé dans la masse - l’item Probe / Window Heat ON (BEA page 3 de l’annexe 6, page 295) requérant la mise sur ON du réchauffage des différents équipements, ce qui permet de surpasser le mode SOL.

Ce sous mode SOL des PHC n’était pas surveillé (paramètre non enregistré notamment) mais la recrudescence des incidents était consécutive à un changement de logiciel des PHC. L’exploration de cette piste a été omise et le BEA n’a pas analysé cet item de la procédure. »

C’est regrettable…

Selon le Tribunal, Airbus a commis une imprudence fautive en persistant à équiper ses A330/340 avec des sondes Thalès AA alors que la sonde de type Goodrich offrait un degré supérieur de fiabilité. L’absence de remplacement des sondes Pitot Thalès AA est une faute d’imprudence d’Airbus, cependant le lien de causalité avec l’accident n’a pas été retenu comme certain car au moins un cas de blocage des sondes Pitot Goodrich s’était produit avant l’accident du vol AF 447. Il est répertorié dans le rapport d’étape n°2 du BEA : 

le 15/03/2009 un cas rapporté à Airbus : blocage de 2 ou 3 sondes Goodrich en croisière avec déconnexion AP et ATHR et passage en loi alternate.

Question : Airbus peut-il présenter l'analyse (ISRO) de ce cas ?

Diaporama présenté par les conseillers techniques de l’Association Entraide &Solidarité AF 447 lors du procès correctionnel (format vidéo) :


A propos de l’étude du NRC dont il est question dans le diaporama et au sujet duquel nous exprimons de sérieux doutes, le Tribunal correctionnel affirme dans son jugement que les biais méthodologiques de l'étude du NRC de 2013, réalisée de manière totalement non contradictoire pendant l'instruction et parallèlement aux expertises judiciaires ne permettent pas de valider ses conclusions, selon lesquelles les sondes Goodrich auraient pareillement gelé dans les conditions atmosphériques du vol AF447.

Le tribunal nous donne raison.

Le point sur ce que l’on sait des sondes Pitot en général et les sondes Pitot de type Thalès AA en particulier (arguments présentés dans le diaporama) :

  • L’enveloppe de certification des sondes Pitot ne couvre pas tout le domaine de vol de l’A330.
  • Cette enveloppe certifiée limitative n’était pas dans le chapitre des limitations avions du FCOM constructeur à la disposition des exploitants et des pilotes.
  • Les sondes Pitot ne peuvent pas être testées correctement dans les souffleries. Les conditions limites possibles y sont : Mach 0,5 et température -35°C ce qui est très éloigné des conditions réelles d’un A330 en croisière.
  • La sonde Pitot Thalès AA avait un défaut de conception au niveau du piège à eau et des trous de purge ce qui la rendait sensible aux cristaux de glace.
  • Ce défaut a été corrigé avec la sonde Pitot Thalès de type BA
  • Un rapport portant sur le vieillissement comparatif de la sonde Pitot Thalès AA et d’une sonde AEROSPACE/GOODRICH (10000 heures de vol) a été remis à la société Thalès le 18 novembre 2004. Il montre que la sonde de type Thalès se corrode de façon catastrophique contrairement à la sonde Goodrich
  • Ce rapport recommandait en 2004 l'application d'un revêtement de type nickel chimique afin d’améliorer sensiblement la durée de vie de la sonde Thalès AA.
  • La sonde Thalès de type BA a été conçue avec un revêtement en nickel pour améliorer sa résistance contre la corrosion mais rien n’a été fait pour améliorer la résistance contre la corrosion de la sonde Thalès de type AA.
  • Airbus a continué à équiper ses A330 avec cette sonde de conception défectueuse
  • Lors de l’analyse de 84 sondes Pitot dont 81 sondes Thalès AA déposées par Air France en 2008, 2 sondes Thalès BA neuves et 1 sonde Goodrich neuve, la DGA a constaté un dépôt noirâtre sur l’intérieur des tubes dû à la dégradation de la brasure par oxydation donc corrosion. Ce dépôt noirâtre libère des particules qui peuvent boucher les trous de purge (drains), limitant alors nettement le débit de fuite donc l’efficacité de la sonde.
  • Lorsque la compagnie Air Caraïbes Atlantique a remplacé les sondes Pitot Thalès de type AA par les sondes de types BA en septembre 2008, les 9 sondes retirées ont été envoyées à la société SR Technics pour vérification : 6 sondes ont été détruites pour cause d’érosion ou de fuites non réparables.
  • À la suite du cas de blocage des sondes Pitot survenu le 12 septembre 2008 sur l’A 330 F-GRSQ de la compagnie XL Airways France, Thalès a expertisé les 3 sondes : elles étaient toutes les 3 dans un état de corrosion inquiétant.
  • Ce défaut par corrosion s’ajoute aux défauts de conception décrits en 4)
  • Les sondes Pitot Thalès AA vieillissaient très mal.
  • Le constructeur et le régulateur ont l’obligation d’éliminer les défauts d’un avion


 

2 commentaires:

  1. Le retour d’expérience n’existe plus, tout est classé secret, tout est trop cher, tout est enjeu financier. Le débat technique est vain puisqu’il est muselé, interdit, surveillé, écouté, espionné, mis sous pression, montré du doigt, attaqué, dénigré... Et quand l’accident survient, une écoute attentive de la communication des uns et des autres montre que tout est orchestré pour cacher l'évidence. Malgré tout, bonne chance à vous.

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  2. Excellente démonstration. Regardez le diaporama. Il explique très clairement qu'Airbus a laissé volé ses A330 avec des sondes défectueuses. Dans le premier jugement le juge a identifié cela comme une faute... Pourquoi n'a-t-il pas utilisé ces éléments en matière de responsabilité pénale? C'est une question creuser sur le plan juridique ne serait-ce que par respect vis à vis des victimes abasourdies par une telle injustice. Vous avez dit Raison d'Etat? Comme c'est Raison d'Etat...

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