A 2h10mn10,4, cinq secondes après la déconnexion du pilote automatique à la suite du blocage des sondes Pitot, une voix synthétique retentit très brièvement « STALL STALL » dans le poste de pilotage saturé d’alarmes et alertes visuelles et auditives. Le pilote en place gauche s’exclame « qu’est-ce que c’est que ça ? ».
La règlementation de sécurité impose que les alarmes donnent des indications clairement identifiables (JAR 25.207 (b)) afin qu’elles s’imposent aux pilotes et captent leur attention, (ACJ 25.207(b)).
Selon le BEA dans les faits établis par l’enquête (page 204), aucun des pilotes n’a formellement identifié la situation de décrochage.
L’alarme décrochage n’a pas donné aux pilotes des indications clairement identifiables car son efficacité a été compromise par plusieurs facteurs :
· L’alarme décrochage n’a pas retenti conformément à sa certification dans la phase initiale d’augmentation de l’incidence et de diminution de la vitesse :
Les alarmes furtives et incomplètes entendues sur le CVR (entre 2h10min10,4 et 2h10min11,3 puis entre 2h10min13 et 2h10min13,4) auraient dû se prolonger jusqu’à 2h10min15,5 environ puis reprendre entre 2h10min17s et 2h10min19s au moins.
L’arrêt de l’alarme décrochage est dû au fait que les 3 Machs avaient des valeurs artificiellement basses et qu’alors le constructeur fait décaler brutalement le seuil d’activation de l’alarme de 4° vers 10°, ce qui a conduit l’alarme à s’arrêter au lieu de se prolonger jusqu’à 2h10min15,5 puis à ne pas retentir au moins entre 2h10min17 et 2h10min19 (rapport BEA p. 94 et p.196).
C’est une violation du JAR 25.207 qui impose que l’alarme décrochage donnent des indications clairement identifiables.
Le JAR 25 est le document de base de la certification de l’A 330.
· L’alarme décrochage était incomplète :
L’alarme décrochage est décrite dans le FCOM comme étant la combinaison
· de l’alarme sonore (STALL, STALL et cricket)
· du voyant Master Warning
· et de l’apparition du ruban rouge et noir sur le bandeau de vitesse (VSW pour STALL WARNING SPEED).
Le BEA indique, paragraphe 2.1.3.1 (page 184) de son rapport final, que le voyant Master Warning ne constitue pas une information spécifique à l’approche du décrochage puisqu’il est associé à de nombreuses situations d’urgence.
De plus, le calcul de VSW étant indisponible du fait de la perte des informations de vitesse, cette vitesse n’était plus présentée et il n’y avait plus d’information visuelle spécifique à l’approche du décrochage.
En l’absence du ruban rouge et noir VSW sur le bandeau de vitesse, le seul élément spécifique indiquant l’approche du décrochage était l’alarme sonore qui n’a pas fonctionné conformément à sa définition.
La saillance d’une alarme sonore non reprise par une information symbolique visuelle sur un avion très visuel est sans doute insuffisante (BEA page 196)
· L’alarme décrochage était régulièrement considérée non pertinente dans le cadre des anomalies de vitesse en croisière
Rapport BEA p. 195 : Les événements antérieurs étudiés (alarme de décrochage dans le cadre d’une anomalie de vitesse en croisière) montrent que d’autres équipages n’ont pas réagi comme attendu à la proximité du décrochage et ont eu tendance à considérer l’alarme comme non pertinente.
Cela, Airbus aurait pu s’en rendre compte lors de l’analyse des incidents antérieurs et lors de sa réévaluation du risque en novembre 2008 à la demande de l’EASA. Le constructeur s’est malheureusement contenté de vérifier la conformité de ses systèmes à leur conception sans analyser les effets sur les pilotes.
· La perte totale des vitesses associée à la perte des protections de vitesse et à la perte de l’alarme décrochage est un « Risque Catastrophique » (analyse de sécurité d’Airbus en 1999)
Quelle était la situation dans le poste de pilotage entre le blocage des sondes Pitot (2.10.05) et la sortie du domaine de vol connu selon les essais en vol (2.10.54) qui intervient seulement 3 secondes après le déclenchement de la 1ère alarme décrochage complète (2.10.51) ?
La perte des vitesses sur les 2 PFD et l’ISIS a été effective tout comme la perte des protections de vitesse dans la loi dégradée de commandes de vol.
Quant à l’alarme décrochage, dernier rempart à la disposition des pilotes pour éviter la sortie du domaine de vol en présence d’un avion sans stabilité longitudinale positive, elle n’a pas joué son rôle préventif en ne retentissant pas de façon continue lorsque l’incidence dépassait le seuil théorique de déclenchement dans la phase initiale de perte de vitesse et d‘augmentation d’incidence.
Ensuite, la première alarme décrochage non tronquée n’a retenti que trois secondes avant la sortie du domaine de vol testé par les pilotes d’essai…
L’alarme décrochage a pour objectif de prévenir les pilotes suffisamment à l’avance d’une sortie possible du domaine de vol. (Jugement page 130)
Le délai attendu des équipages à une alarme décrochage est de l’ordre de quelques secondes (BEA page 185).
Pensez-vous réellement que l’on peut laisser reposer la prévention du risque catastrophique d’une sortie du domaine de vol à cette seule alarme sonore de décrochage dans le cas d’indications de vitesse erronées alors que celle-ci cesse de retentir lorsque les trois vitesses sont erronément faibles ?
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