Avant l’accident
Janvier 1947 Création du document AS393 établissant les normes de certification des sondes Pitot. Il sera utilisé pour la certification de la sonde Pitot C16195AA qui équipait le vol AF 447. A l’époque, le DC4 était l’avion phare du transport aérien.
Octobre 1993: certification de l’A330 (avec la sonde Pitot de type Rosemount). Lors des essais en vol, le décrochage de l’A330 n’a pas été exploré, seule l’approche du décrochage l’a été. L’enveloppe de certification des sondes Pitot ne couvre pas tout le domaine de vol de l’A330. La DGAC accorde une dérogation pour ce type d’avion, qui a des caractéristiques de conception nouvelles (absence de stabilité statique longitudinale positive), par une condition spéciale afin de rétablir un niveau de sécurité équivalant à celui exigé par le JAR 25 en imposant des protections pour éviter le décrochage.
Décembre 1995 : Airbus fait le constat de l’insuffisance de la certification concernant les sondes Pitot en présence de cristaux de glace et lance le développement de la sonde Goodrich. Ce document atteste que des cas d’incohérence des vitesses mesurées ont eu lieu dans la flotte A340 d’Air France à cette époque.
Août 1996 : Le NTSB fait la recommandation suivante : Revoir les règles de certification en conditions givrantes afin de s'assurer que les avions sont correctement testés dans toutes les conditions dans lesquelles ils sont autorisés à opérer, ou qu’ils peuvent voler en toute sécurité dans de telles conditions. Si la sécurité des opérations ne peut pas être prouvée par le constructeur, les limites opérationnelles devraient être imposées afin d'interdire le vol dans de telles conditions et les équipages de conduite devraient être munis de moyens pour déterminer avec certitude quand ils sont dans des conditions de givrage qui excèdent les limites de la certification des aéronefs.
Novembre 1996 : certification de la sonde Goodrich P/N 0851HL
Avril 1998 : certification de la sonde Sextant (Thalès) P/N C16195AA
Juin 1998 : Airbus affirme que l’entraînement des pilotes au décrochage n’est pas nécessaire
1999 : Analyse de sécurité d’Airbus sur les risques et conséquence de la perte des informations de vitesse. La perte totale des vitesses est un risque Majeur à condition que les pilotes aient une procédure à appliquer et un entraînement adéquat. Le risque peut être catastrophique si la perte des vitesses est accompagnée de la perte de l’alarme décrochage et de celle des protections de vitesse.
Janvier 1999 : Le BFU (équivalent allemand du BEA) recommande la modification des normes de certification des sondes Pitot.
Février 2001 : Mise en place d’une nouvelle procédure « UNRELIABLE AIRSPEED » par la DGAC : « Les exploitants d'A330/A340 ont signalé plusieurs cas de fluctuations brusques d'indication de vitesse en croisière (CAS, TAS, MACH) rencontrées dans des conditions de givrage sévères. Les équipages doivent respecter la nouvelle procédure du Manuel de Vol « Unreliable airspeed conditions » /…/ afin de minimiser les fluctuations de l'indication de vitesse. ».
Juin 2001 : La FAA impose également cette nouvelle procédure en précisant le risque de sortie du domaine de vol et que c’est la réponse à une « unsafe condition » (condition compromettant la sécurité).
Août 2001 : La DGAC rend obligatoire le remplacement de la sonde Rosemount par les sondes Goodrich et Thalès AA au moyen d’une consigne de navigabilité en ces termes : Des opérateurs ont rapporté des cas de pertes ou de fluctuations d’indications de vitesses avion dans des conditions météorologiques sévères. Suite à investigation, la cause de ces anomalies s’avérerait être la présence de cristaux de glaces et/ou d’eau dans les sondes Pitot de type ROSEMOUNT P/N 0851GR dans des limites supérieures aux spécifications d’origine. L’installation sur avion de sondes Pitot nouvellement certifiées et qui répondent à des critères de qualification plus sévères est rendue impérative.
Juillet 2002 : Airbus fait le constat de défauts de la sonde Pitot Thalès AA (blocage des drains provoquant des variations de vitesse).
Octobre 2002 : Le CHSCT PN d’Air France fait le constat de l’insuffisance de la prise en compte du risque de décrochage sur les avions de type Airbus. Le CHSCT PN d’Air France alerte la compagnie en faisant une proposition pour créer une manœuvre d’urgence de récupération du décrochage de l’Airbus A320 (procédure similaire pour l’A330). Cette proposition a été rejetée par les instances de la compagnie mais reprise par le BEA et Airbus en 2010 après les accidents d’un A320 à Perpignan en novembre 2008 et du vol AF 447.
Décembre 2002 : La FAA rend obligatoire le remplacement de la sonde Rosemount par les sondes Goodrich et Thalès AA en précisant le risque de sortie du domaine de vol et qu’il s’agit de la réponse à une « unsafe condition ».
Novembre 2003 : 1er cas officiel de blocage des sondes Pitot Thalès AA attribuable à des cristaux de glace selon le BEA.
Novembre 2004 : Un rapport portant sur le vieillissement comparatif de la sonde Pitot Thalès AA et de la sonde Pitot Goodrich (10000 heures de vol) a été remis à la société Thalès le 18 novembre 2004. Il montre que la sonde de type Thalès se corrode de façon catastrophique contrairement à la sonde Goodrich. Ce rapport recommandait en 2004 l'application d'un revêtement de type nickel chimique afin d’améliorer sensiblement la durée de vie de la sonde Thalès AA. La sonde Thalès de type BA a été conçue (2007) avec un revêtement en nickel pour améliorer sa résistance contre la corrosion mais rien n’a été fait pour améliorer la résistance contre la corrosion de la sonde Thalès de type AA. Airbus a continué à équiper ses A330 avec cette sonde défectueuse
Fin 2004 : 2 cas supplémentaires. Total : 3
Janvier 2005 : Thalès lance le projet « ADELINE ». L'équipement de données aérodynamiques actuel est composé d'un grand nombre de sondes individuelles et de capteurs de pression. Cet équipement fournit des paramètres vitaux pour la sécurité du vol de l’avion tels que la vitesse, l’angle d’attaque et l’altitude. La perte de ces données peut provoquer des crashs d'avions notamment en cas de givrage des sondes.
Fin 2005 : 1 cas supplémentaire. Total : 4
Août 2006 : Airbus fixe la fréquence du nettoyage des sondes Pitot toutes les visites de type « C » (toutes les 8000h de vol c’est-à-dire environ 21 mois). Le constructeur Bombardier a eu le même problème sur certaines sondes équipant ses DHC-8. Transports Canada est intervenu de façon énergique en 2008 pour imposer un nettoyage toutes les 600h de vol, c’est-à-dire tous les 4 mois environ.
Fin 2006 : 4 cas supplémentaires. Total : 8
Septembre 2007 : L’EASA fait le constat de l’insuffisance de la certification des sondes Pitot. La possibilité que les systèmes délivrent des informations trompeuses aux pilotes à la suite du blocage des sondes Pitot est un risque « Dangereux ». C’est une « unsafe condition » potentielle.
Septembre 2007 : Dans un Service Bulletin, Airbus recommande le remplacement de la sonde Thalès C16195AA par la sonde Thalès C16195BA. La sonde BA a été conçue avec un revêtement Nickel chimique pour éviter la corrosion.
Mars 2007 : Une nouvelle version des PHC (Probe Heat Computer, Système de réchauffage des sondes) est applicable pour les A330/340 (modification de la carte mère)
Fin 2007 : 3 cas supplémentaires mais le type de sonde Pitot est indéterminé selon le BEA
Juillet 2008 : Modification des PHC sur la flotte A330 d’Air France
Avril 2008 : Audit de l’EASA par l’OACI en avril 2008 : Le retour d’expériences est mal organisé en Europe !
2008 : Recrudescence des cas de blocage des sondes Pitot Thalès AA. Ces blocages entraînent « des pannes multiples d'un ou de plusieurs systèmes de bord qui gênent fortement la conduite de l'aéronef ». Ce sont des incidents graves au sens de la Directive 94/56/CE. Un « incident grave » est un incident dont les circonstances indiquent qu'un accident a failli se produire.
Août 2008 : Air France décide le remplacement des sondes AA par les sondes BA "sur panne".
Septembre 2008 : 2 événements Compagnie ACA (Air Caraïbes Atlantique). Le dirigeant responsable interroge la DGAC : « Quelle est votre position suite à la gravité et à la répétition de ces incidents ? » (la réponse sera donnée 6 mois plus tard…).
Septembre 2008 : Dans le rapport rédigé par la compagnie ACA, Airbus reconnaît « toute la difficulté rencontrée par l’équipage pour une mise en application rapide et efficace de la procédure UNRELIABLE AIRSPEED et réfléchit à une modification des check-lists ».
Septembre 2008 : Air France fait part à Airbus de sa grande inquiétude devant les nombreux cas d’incohérence des vitesses mesurées « car la sécurité des vols est en jeu ».
Septembre 2008 : La DGAC sollicite l’EASA sur l’opportunité de rendre obligatoire le remplacement des sondes AA par les sondes BA (émission d’une AD). A cette époque, suite aux nombreux ASR (Air Safety Report) transmis par les commandants de bord, notamment en 2008, la situation suivante était connue des Autorités de certification, de régulation, de contrôle des compagnies aériennes et du BEA bien avant le 1er juin 2009 : Cas de pertes ou de fluctuations d’indications de vitesses avion dans des conditions météorologiques sévères, la cause de ces anomalies étant la présence de cristaux de glaces dans les sondes Pitot de type THALES C16195AA dans des limites supérieures aux spécifications d’origine. C’est la même situation que lors de l’élimination de la sonde Pitot de type Rosemount en août 2001 par la DGAC.
Septembre 2008 : l’OCV propose la publication d’une consigne opérationnelle à la DGAC qui refuse.
Novembre 2008 : Presque 6 mois après le premier incident ayant fait l'objet d'un ASR (Air Safety Report), l'OSV Air France émet une note de sécurité des vols sur le sujet des incidents d'indications de vitesse erronées, alors que 7 ASR avaient déjà été rédigés (sur 12 incidents qui s'étaient déjà produits). Air France demande simplement à ses pilotes d’être vigilants par une note qui ne fait pas référence à la procédure à appliquer et qui ne reflète pas la dangerosité des événements. Certains pilotes ne la voient pas passer.
27 novembre 2008 : Accident de l'Airbus A320-232 immatriculé D-AXLA exploité par XL Airways Germany au large de Canet-Plage (66). On peut lire dans les "Faits établis par l'enquête" page 101 du rapport BEA : Du fait de la position du compensateur laissé à plein cabrer et du couple à cabrer généré par les moteurs à puissance maximale, l'équipage a perdu le contrôle de l'avion au cours de la remise de gaz.
Novembre 2008 : L’EASA demande à Airbus de faire une évaluation du risque. Cette évaluation, rendue 4 mois plus tard, sera incomplète, elle aurait dû entraîner un classement « Dangereux ».
Fin 2008 : 11 cas supplémentaires. Total 19
Février 2009 : L’EASA prend en compte la recommandation du NTSB qui demandait en 1996 que les constructeurs donnent aux pilotes les moyens de déterminer avec certitude quand ils sont dans des conditions de givrage qui excèdent les limites de la certification de leurs avions. Lors de l’accident, l’A330 du vol AF 447 sera en dehors de cette enveloppe sans le savoir.
Mars 2009 : Thalès confirme que les sondes Pitot ne peuvent pas être testées correctement dans les souffleries. Les conditions limites possibles y sont : Mach 0,5 et température -35°C ce qui est très éloigné des conditions réelles d’un A330 en croisière.
Mars 2009 : L’EASA répond à la DGAC que « l’unsafe condition » n’est pas démontrée et qu’il n’est pas nécessaire de rendre le remplacement de la sonde AA obligatoire.
Avril 2009 : Air France décide le remplacement des sondes Pitot Thalès AA par les sondes Thalès BA et reçoit son premier lot en mai. 15 événements précurseurs à Air France entre le 10 mai 2008 et le 1er juin 2009. 9 ont fait l’objet d’un ASR. D’une façon générale, aucun des événements liés au défaut des sondes Pitot n’a été analysé par le BEA ou bénéficié d’un suivi par la DGAC.
Au 31 mai 2009 : 10 cas supplémentaires. Total 29 selon le BEA dont 1 cas de blocage des sondes Goodrich.
Lorsque le 1er juin 2009 à 02h10.05, l’équipage du vol AF 447 récupère brutalement son A330 en pilotage manuel pendant la traversée d’une zone de cristaux de glace non signalée lors la préparation du vol, semblable à celles qui ont précédemment provoqué 28 cas de blocage des sondes Pitot Thalès AA, il se retrouve dans une situation dangereuse, très complexe et extrêmement dégradée qui se développe dans un laps de temps très court, caractérisée par une incompréhension de ce qu’il se passe et une charge de travail excessive. L’absence de protection de vitesses et le fonctionnement inapproprié de L’ECAM, du directeur de vol, du PHR, de l’alarme décrochage, du Speed Trend, de l’altimètre, du variomètre… précipitent l’avion, les passagers et l’équipage dans un piège mortel.
En l’espace de 49 secondes, l’A330 sort du domaine de vol connu en décrochage profond : 228 morts.
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