Pendant toute l’instruction et lors du procès correctionnel, nous avons fait l’erreur de limiter le débat à propos du risque lié à la perte totale des indications de vitesse entre 2 options : « Risque Dangereux » ou « Risque Majeur ».
En fait, il y a une 3ème option : selon l’analyse de sécurité d’Airbus en 1999, la perte totale des vitesses associée à la perte de l’alarme décrochage et à la perte des protections de vitesse est un « Risque Catastrophique ».
Note : on ne peut pas attendre de pilotes de ligne d'être capables de récupérer l'avion dans des conditions que même les pilotes d'essai d’Airbus ne sont jamais allés tester, c’est à dire hors du domaine de vol connu, qui plus est sans procédure de récupération ni entraînement.
Quelle était la situation dans le cockpit entre le blocage des sondes Pitot (2.10.05) et la sortie du domaine de vol connu selon les essais en vol (2.10.54) qui intervient seulement 3 secondes après le déclenchement de la 1ère alarme décrochage complète (2.10.51) ?
La perte des vitesses sur les 2 PFD et l’ISIS a été effective tout comme l’absence des protections de vitesse dans la loi dégradée de commandes de vol. Quid de l’alarme décrochage, dernier rempart à la disposition des pilotes pour éviter la sortie du domaine de vol en présence d’un avion sans stabilité longitudinale positive ?
L’efficacité de l’alarme décrochage a été compromise par plusieurs facteurs :
L’alarme décrochage ne répond pas à sa certification. L’alarme furtive et incomplète (2.10.13 à 2.13,4) est due au fait que, alors que les 3 Mach avaient des valeurs artificiellement basses, le seuil d’activation de l’alarme avait augmenté brutalement de 4° vers 10° (as per design), ce qui a conduit l’alarme à s’arrêter au lieu de se prolonger jusqu’à 2.10.15,5 puis à ne pas retentir au moins entre 2.10.17 et 2.10.19 (rapport BEA p. 94).
C’est une violation du JAR 25.207 qui impose : l’alarme doit être continue jusqu’à ce que l’incidence soit réduite à celle ayant initié l’alarme.
Le JAR 25 est le document de base de la certification de l’A 330.
L’alarme décrochage était incomplète. L’alarme décrochage est décrite dans le FCOM comme étant la combinaison de l’alarme sonore, de l’illumination du voyant Master Warning au FCU et de l’indication sur le bandeau de vitesse que représente la bande rouge et noire VSW (pour STALL WARNING SPEED).
Selon le BEA paragraphe 2.1.3.1 de son rapport, le calcul de VSW était indisponible du fait de la perte des informations de vitesse et le voyant Master Warning ne constitue pas une information spécifique à l’approche du décrochage puisqu’il est associé à de nombreuses situations d’urgence.
En l’absence de la bande rouge et noire VSW sur le bandeau de vitesse, le seul élément spécifique indiquant l’approche du décrochage est l’alarme sonore.
Celle-ci n’a pas fonctionné comme attendu. De plus, le cockpit était saturé par de nombreuses, brutales et répétées alarmes visuelles et sonores. On peut donc s’interroger sur son efficacité.
Non prise en compte de l’alarme décrochage : un phénomène récurrent. Rapport BEA p. 195 : Les événements antérieurs étudiés (alarme de décrochage dans le cadre d’une anomalie de vitesse en croisière) montrent cependant que d’autres équipages n’ont pas réagi comme attendu à la proximité du décrochage et ont eu tendance à considérer l’alarme comme non pertinente. Cela, Airbus aurait pu s’en rendre compte si, lors de sa réévaluation du risque en novembre 2008 à la demande de l’EASA, le constructeur avait analysé les effets globaux du blocage des sondes Pitot sur les pilotes. Mais il s’est contenté de vérifier la conformité de ses systèmes à leur conception.
Selon le BEA, une des causes de l’accident est la non-identification de l’approche du décrochage par les pilotes. Sans indication de vitesses, sans protection de vitesse sur cet avion sans stabilité longitudinale statique positive et avec une alarme décrochage qui n’a pas rempli son rôle et ne respectait pas sa définition, comment pouvait-il en être autrement ?
Quand il s’agit de masquer des responsabilités, le pilote de ligne standard, qui n’est ni un pilote d’essais ni Buck Danny, est une proie facile. Surtout s’il n’est plus là pour se défendre !
Lors de mon intervention au procès la présidente m'a demandé pourquoi j'avais limité à la 50 ème seconde : je lui ai répondu qu'on ne pouvait pas demander à un pilote de faire de nuit et en conditions très dégradées ce que les pilotes d'essai n'avaient pas fait de jour, par beau temps et avec une instrumentation intègre.
RépondreSupprimerD'une manière générale mon sentiment est que les 3 juges ont bien tout compris de ces 50 secondes et tout de notre dossier.
Le verdict est ailleurs : il s'agissait de sauver le soldat Airbus, sur ordre.
Le comportement aberrant du procureur en est l'illustration.