La juge d’instruction en charge du dossier AF 447 leur avait posé cette question : « L'accident aurait-il pu être évité, et dans l'affirmative, par quels moyens ? » Les experts judiciaires du 1er collège avaient répondu ainsi dans leur rapport en 2012 :
1. Déficit d'information sur le givrage des sondes
Les équipages n’étaient pas correctement informés des risques liés au givrage des sondes Pitot en haute altitude, ce qui a provoqué un effet de surprise total au moment de la panne.
2. Sous-estimation de la dangerosité des incidents précédents
Les nombreux incidents antérieurs de perte de vitesse (2003–2009) n’ont pas été pris au sérieux par les acteurs industriels ou réglementaires, empêchant la mise en place de mesures correctrices avant l’accident.
3. Procédure "IAS douteuses" inadaptée à la situation réelle
La signature de ce type d'événement n'est pas mentionnée dans la documentation qui l'exprime comme étant fortement improbable. Le choix d'appliquer la procédure « IAS douteuse » dépend avant tout du diagnostic des pilotes. Sans préparation ou information, ce dernier reste aléatoire.
4. Les conditions d’application de la procédure STALL WARNING inadaptée à l’urgence
Il est difficile, au vu de l'analyse du contenu documentaire, de comprendre la logique de la description de l'alarme STALL WARNING dans la documentation du constructeur Airbus.
5. Le phénomène des cristaux de glace ignoré réglementairement
Le givrage par cristaux de glace secs, cause réelle de la perte de vitesse, n’était pas intégré aux définitions réglementaires ni aux exigences de certification. : Ce standard a été défini à une époque (fin des années 50) où les avions de transport public volaient selon des paramètres différents de ceux des avions modernes à réaction : Vitesse, altitude et donc, températures.
6. Aucune exigence spécifique pour le copilote suppléant
Le copilote en fonction lors de l’accident n’avait pas reçu de formation ou sélection renforcée pour exercer temporairement les fonctions de commandant de bord en cas d'absence. [Certes, mais peu importe que les pilotes n’aient pas pu ou su se sortir de la situation dangereuse créée par le blocage simultané des 3 sondes Pitot. Ils n’auraient jamais dû se trouver dans une telle situation.]
7. Perte de redondance non anticipée ni évaluée
Le givrage simultané des trois sondes Pitot a entraîné une perte de redondance non prise en compte dans les scénarios de certification ni dans les procédures opérationnelles. Airbus n'a pas exploré de pistes techniques permettant d'éviter un givrage simultané de plusieurs sondes comme imposer un mixage de sondes de fabrication différentes, ce qui a été fait après l'accident et aurait pu améliorer la redondance du système.
8. Utilisation de données invalides dans les systèmes
Les données de pression erronées ont été utilisées par l’altimètre, les alarmes et le système de décrochage, provoquant des indications trompeuses et la désactivation de l’alarme STALL.
9. Changements de modes de guidage et FD incohérents
Les barres du Directeur de Vol (FD) donnaient des consignes inappropriées (assiette à cabrer), avec des changements de modes erratiques qui ont perturbé les pilotes.
10. Loi de pilotage ALT2 dite B sans stabilité longitudinale
Lorsque l’on veut faire décrocher un avion pourvu d’une stabilité statique longitudinale positive, il faut exercer une forte traction sur la commande de profondeur. Cet effort est dissuasif. Si le pilote persiste, l’avion fait ce que l’on appelle une « abattée ». Sur l’A330 en loi de commande de vol ALT2 dite B, rien de tout cela. Les calculateurs annihilent l’effort sur la commande de profondeur et orientent le PHR, partie horizontale de l’empennage, jusqu’à sa butée ce qui accentue le cabré de l’avion jusqu’à s’enfoncer en décrochage profond. Ce moyen relevé par les experts met en lumière une limitation technique des lois de pilotage dans des situations extrêmes.
11. Trim automatique non désactivé en situation critique
Le trim automatique du plan horizontal (THS) est resté actif en loi ALT2 dite B, poussant l’avion à une assiette dangereuse ce qui a empêché la récupération du décrochage. Il est surprenant que le trim automatique ne soit pas désactivé au voisinage de α PROT, alors que c 'est le cas en loi ALT1.
12. Spécifications de certification restées obsolètes
Les normes CS-25 (notamment l’appendice C) n’ont pas évolué malgré les nombreux cas de blocage permettant le maintien d’équipements inadaptés. Les normes de certification des sondes Pitot dataient de 1947. L’A330 a été certifié avec les sondes Pitot du DC4.
***
Conclusion des auteurs de ce blog : une accumulation de défaillances multifactorielles
L’accident du vol AF 447 n’a pas pour origine une erreur isolée, mais une chaîne de vulnérabilités :
- Techniques (capteurs, automatisation, lois de pilotage),
- Humaines (formation),
- Organisationnelles (procédures),
- Systémiques (certification, suivi de navigabilité, retour d’expérience insuffisant).
Ces 12 moyens représentent autant d'opportunités manquées pour rompre la chaîne accidentelle. Pris ensemble, ils démontrent que l’accident aurait pu être évité par une action coordonnée, proactive et responsable des acteurs impliqués : constructeur, compagnie, autorités de certification et de prévention des risques.
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